Rencontre avec Myriam Laidet
25 mars 2022
Doctorante par le projet dans le domaine du paysage
Myriam Laidet a intégré en septembre dernier le programme de doctorat par le projet de l'école doctorale Arts, Humanités, Sciences sociales, au sein du Laboratoire de recherche en projet de paysage (Larep) de l'École nationale supérieure de paysage, pour y réaliser une thèse dans la mention paysage. Nous l'avons rencontrée le 1er mars afin qu'elle nous présente son parcours professionnel, son projet de thèse et ce qui le lie au paysage et aux thèmes portés par le Larep.


Portrait de Myriam Laidet, Grand Carré du Potager du Roi, mars 2022. Photo : École nationale supérieure de paysage
Pouvez-vous vous présenter ? Quel a été votre parcours avant de choisir la formation doctorale ?
Je suis géographe, urbaniste, diplômée de Sciences Po. J'ai fait une grande partie de ma carrière en lien avec le Centre du patrimoine mondial de l'Unesco, en m'occupant notamment de réaliser un plan de gestion de paysage pour protéger Hué, l'ancienne cité impériale du Vietnam. Ensuite, j'ai travaillé au Cambodge sur la ville historique de Phnom Penh et, depuis 2002, je me suis consacrée au Val de Loire, qui venait juste d'être inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco au titre de paysage culturel vivant. En parallèle, j'ai développé une expertise et des compétences au sein de l'Icomos (International Council on Monuments and Sites) et je suis membre du comité scientifique international Icomos Paysages culturels. J'ai développé, dans le cadre de mes fonctions, une expertise spécifique sur le paysage culturel viticole. J'ai d'ailleurs fait signer une première charte sur la protection et la valorisation des paysages viticoles du Val de Loire en 2003, la Charte internationale de Fontevraud, base du réseau européen des vignobles du Patrimoine mondial.
Quand et pourquoi avez-vous candidaté au doctorat par le projet de l'École universitaire de recherche (EUR) Humanités, Création et Patrimoine ?
En 2021, j'ai obtenu un diplôme d'œnotourisme culturel à l'Institut universitaire de la vigne et du vin de Bourgogne et, dans la foulée, j'ai postulé au programme de doctorat par le projet. J'ai intégré le parcours en octobre dernier, en étant rattachée à l'école doctorale Arts, Humanités, Sciences sociales et au laboratoire de recherche de l'École nationale supérieure de paysage.
Quel est le sujet de votre thèse ?
Je réalise actuellement une thèse sur le paysage culturel viticole dans le bien Unesco du Val de Loire et je vais travailler à sa caractérisation et à sa mise en valeur à partir de quatre sites pilotes. Je vais utiliser notamment la méthode du plan de paysage et je vais poser l'hypothèse suivante : un plan viticole de paysage peut-il accompagner l'AOC (appellation d'origine contrôlée) dans le renforcement de la résilience d'un vignoble et de la reconnaissance de sa valeur culturelle ?
Je vais tenter de démontrer que le paysage viticole est une valeur culturelle et qu'elle peut fonder une stratégie publique de protection et de valorisation de ce vignoble. J'ai choisi cette approche car, entre 1997 et 2015, 14 vignobles - la Bourgogne, la Champagne, Saint-Émilion, Langhe-Roero Monferrato, Cinqueterre, le val d'Orcia (Italie), la vallée du Haut-Rhin moyen (Allemagne), les terrasses de Lavaux (Suisse), la vallée de la Wachau (Autriche), la région de Fertö Neusiedlersee (Autriche / Hongrie), la région de Tokaj (Hongrie), la vallée du Haut-Douro et l'île du Pico dans l'archipel des Açores (Portugal) et le Val de Loire (dont la vigne est une composante du bien) - ont été inscrits au Patrimoine mondial de l'Unesco. Cette inscription montre que la valeur culturelle du paysage viticole est reconnue. Elle est fondatrice du vignoble et pourrait lui permettre de mieux exister, d'être plus visible et sans doute d'être plus résilient à terme au changement climatique.
Le Val de Loire est inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco depuis 2000. La vigne est une des quatre composantes du paysage, en lien avec la culture fluviale, l'art des jardins et des parcs, et la qualité de ses châteaux et de ses villes.
Je cherche à approfondir les spécificités de la valeur culturelle de la vigne en Val de Loire. Concrètement, je vais explorer le fait que cette valeur est rattachée à la fois au fleuve, car la Loire, par son écosystème et son histoire fluviale, détermine l'évolution du vignoble, et au fait d'être très marqué par la culture du jardin (XVIe-XVIIe siècle) et du parc paysager (XVIIIe-XIXe siècle). En effet, avec la transformation des « maisons aux champs » en hôtels de villégiature intégrant la composante viticole dans leur parc, il y a eu une évolution du jardin au parc.


La valeur universelle exceptionnelle du bien Unesco sur le site de Savennières - Béhuard (Maine-et-Loire), vue oblique, 2016 - crédits : Mission Val de Loire Patrimoine mondial (L.-M. Coyaud - M. Laidet) & J.-M. Curvale
Le site qui démontre le mieux cette hypothèse est Savennières, une appellation au sud d'Angers qui s'étend sur 300 hectares et qui englobe 17 lieux de villégiature avec leurs jardins et leurs parcs. La trame paysagère de Savennières témoigne de l'évolution de la fabrique viticole au fil des siècles. Cette réalité est à rapprocher du constat que le Val de Loire possède le taux le plus élevé de vignerons engagés dans des démarches de certification environnementale (plus de 80 %). L'héritage aurait-il joué un rôle dans la gestion du vignoble ?
Quelles différences y a-t-il entre un doctorat « classique » et un doctorat par le projet ? Qu'est-ce que réaliser un doctorat par le projet concrètement ?
Le doctorat par le projet est une démarche de recherche qui tente de répondre à des attentes professionnelles. Dans mon cas, je combine deux choses : le travail sur l'historicité du paysage et la question du paysage comme moteur d'une stratégie publique. L'articulation de ces deux éléments est intéressante et n'aurait sûrement pu être faite dans un autre programme de doctorat. Je suis donc très contente d'avoir rejoint le Larep qui intègre ces deux axes dans son projet scientifique.
Au niveau organisationnel, il y a un encadrement scientifique, avec des chercheurs de l'Université de Tours (laboratoire CITERES -- Samuel Leturcq, Isabelle Lajeunesse) et de l'Université de Bourgogne (laboratoire ARTEHIS - Jean-Pierre Garcia) et un encadrement dit professionnel : deux paysagistes se sont engagés à m'accompagner pendant mes trois ans du doctorat, Sébastien Giorgis, paysagiste-conseil de l'État, et Pierre-Marie Tricaud, urbaniste et paysagiste au sein de l'Agence Île-de-France, et expert en matière de paysages culturels viticoles inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de l'Unesco. Avec cet accompagnement, je vais pouvoir explorer mon hypothèse dans de bonnes conditions.
Quel(s) lien(s) y a-t-il entre votre recherche et celles du laboratoire de recherche de l'École nationale supérieure de paysage, le Larep ?
Le Larep dispose de compétences, de modalités de réflexion et de travaux qui vont alimenter ma recherche. Je pense notamment aux travaux sur les jardins historiques, sur l'histoire du projet de paysage, sur l'agriculture urbaine et la transition. Patrick Moquay, mon directeur de thèse, est un politologue spécialiste des stratégies publiques territoriales urbaines et rurales. Or le vignoble est une forme de l'agriculture urbaine.
Que pensez-vous faire après votre doctorat ?
J'aimerais poursuivre mon activité de recherche en lien avec des laboratoires européens et mettre en place une activité de conseil et d'expertise en matière de valorisation culturelle de paysages viticoles, notamment en Val de Loire.